Accéder au contenu principal

Articles

L'école

Je cherchais à comprendre les raisons et à surmonter ma peur. Je contemplais toutes les portes fermées avec suspicion et apprenais à lire sur les lèvres des paroles défendues. L’école aussi me semblait une forteresse qui volait mes sœurs. Un lieu gris et humide qui leur enseignait le silence. Flora et Iris passaient leur journée derrière les barreaux. Ce n’est qu’à l’heure du goûter qu’elles me rejoignaient autour d’un paquet de biscuits et d’un grand verre de lait. Le mur de briques rouges qui délimitait la cour de récréation du trottoir paraissait infranchissable et hostile. Il était rehaussé de grilles aux barreaux acérés tels des lances menaçantes vers le ciel. Je redoutais le jour où je devrais la franchir. Les journées devaient être interminables. Derrière mes lunettes épaisses, je plissais les yeux pour apercevoir les ballons colorés dessinés sur le mur du préau. La bruine normande me brouillait la vue. Je ne comprenais pas comment Iris pouvait les trouver si beaux. Quand je l

Une hirondelle

Bénédicte range la maison. Elle passe le balai dans les quatre coins du salon afin de retirer les miettes du repas, et à chacun de ses gestes, méthodiquement réalisés, toutes ses pensées volent vers Iris. N’ayant pas répondu à son appel, sa sœur est venue lui rendre visite avec ses filles d’épices et de miel. Bénédicte respire le silence de la maison. Sa maison d’enfance a vieilli et ses convictions profondes aussi. Elle se demande d’ailleurs pourquoi elle continue de l’entretenir. Pourquoi mettre de l’ordre alors que la poussière ne cesse de retomber ? Inéluctablement, le temps passe. Il laisse sa trace. Il creuse la distance. Bénédicte souhaiterait se confier à Iris : les fissures de la maison, son cœur enflé, ses mains veineuses et ses souvenirs qui l’envahissent et la détruisent. Elle ne peut pas : Iris est aérienne. Elle flotte au-dessus des nuages avec sa magnifique chevelure et ses mains d’opaline. Comment oser lui demander de se poser sur une terre en jachère ? Une hi

Ulysse

Il y a des tulipes de toutes les couleurs dans les plate-bandes du jardin. Elles dansent le printemps.  Bénédicte se gratte le ventre nerveusement. Elle s’ennuie et l’ennui la fatigue. Il fait trop beau temps pour s’enfermer dans les travaux de la maison. Elle se roulerait bien parmi les tulipes comme son grand chien roux. La belle saison l’appelle et courir à perdre haleine ne comblerait pas suffisamment son appétit de vivre. Son chien aboie en direction du bâton posé à ses pieds. Sa longue langue rose coule sur ses pattes velues. Bénédicte regarde le bout de bois et finit par l’envier. Elle se demande même si ce n’est pas son bel animal qu’elle devrait jalouser : son cœur est si lisse. Il n’aspire qu’à jouer et certaines questions déroutantes, il ne se les pose pas. Il tourne sur lui-même, fait mine de mordiller ses chevilles et finit par se rouler dans l’herbe fraîche. Bénédicte s’empare de son bâton et lance son trophée le plus loin possible dans les airs. « Vole, Ul

Flora - extrait 2

J’ouvre les yeux et aperçoit les pierrots endormis sur le papier peint tapissant la porte de la chambre bleue. Je les compte. Un, deux, trois, puis une étoile, indiscrète et sauvage. Elle s’efface sous mon doigt. Elle se noie dans le bleu du ciel. Celui-ci d’aquarelle et d’argent sent le vent des nuits fraîches et l’ambre. Les étoiles se balancent et frôlent le quatrième pierrot qui m’invite à l’apaisement, l’index sur ses lèvres. Quelqu’un dormirait-il encore de l’autre côté de cette porte ? Je porte ma main à mes lèvres pour me faire toute petite et étouffer ma respiration sifflante qui s’emballe. Je colle mon oreille à la porte. J’espère entendre Flora. Mais, une douleur vive aux pieds m’incite à quitter subitement des yeux le dos de la porte pour arracher cette pointe glaciale qui me paralyse. Le carrelage. Dur et froid. Mes pieds sont violacés et douloureux  « Bénédicte, la couverture…Cesse de tirer sur la couverture ! J’aimerais dormir… » Dormir. Cela fait si l

Flora - extrait 1

« Ton père est un salaud, ma chérie. » Au début, cela sonne comme un coup de poing imprévisible. Puis, au fil du temps, la nouvelle devient tant une supercherie qu’une évidence.  « Ton père est un salaud, ma chérie. » Et j’écoute cette voix qui m’est si chère, raisonnée en moi, tel un écho aux malheurs inéluctables qui ont damné les miens : la fille-mère sous le train, la listéria de ma tante, la petite Alice sur le quai de la gare, la cécité du grand-père, les coups de tonnerre et les coups de Trafalgar…Tous ces crocs en jambe de la vie s’abattent subitement sur mes épaules. J’ai froid. J’ai chaud. Mon cœur est en miette et mes oreilles bourdonnent. Au plus profond de moi-même, accoudée au lavabo de la salle de bain, je me questionne : un « salaud », oui, mais comment est-il ? Peut-on le dessiner ? A-t-on le droit de le gommer ou d’aviver ses couleurs ? Je pourrais cesser de l’exposer au grand jour et le garder dans le fond de ma poche pour ne pas