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L'école


Je cherchais à comprendre les raisons et à surmonter ma peur. Je contemplais toutes les portes fermées avec suspicion et apprenais à lire sur les lèvres des paroles défendues. L’école aussi me semblait une forteresse qui volait mes sœurs. Un lieu gris et humide qui leur enseignait le silence. Flora et Iris passaient leur journée derrière les barreaux. Ce n’est qu’à l’heure du goûter qu’elles me rejoignaient autour d’un paquet de biscuits et d’un grand verre de lait. Le mur de briques rouges qui délimitait la cour de récréation du trottoir paraissait infranchissable et hostile. Il était rehaussé de grilles aux barreaux acérés tels des lances menaçantes vers le ciel. Je redoutais le jour où je devrais la franchir. Les journées devaient être interminables. Derrière mes lunettes épaisses, je plissais les yeux pour apercevoir les ballons colorés dessinés sur le mur du préau. La bruine normande me brouillait la vue. Je ne comprenais pas comment Iris pouvait les trouver si beaux. Quand je les observais, accrochée à la grille métallique, ils ne volaient pas. Fades et silencieux, le décor de fête brillait seulement pour ses détenus qui tournaient en rond la tête remplie de nombres.
Je quittais des yeux les tâches de couleurs et observais souvent le visage de ma mère. J’aurai pu lui en tenir rigueur d’accepter la condition de mes sœurs. Les adultes condamnent les enfants pour leur bien-être alors qu’ils ont oublié leurs désirs premiers. Que connaissent-ils du bien et du mal ? Mais, j’étais incapable de juger ma mère. Ses yeux étaient des anémones d’amour et d’espoir.
Sur le trottoir, des nourrices poussaient de larges poussettes et se rejoignaient devant la grille, encerclant Bénédicte de leurs discours préformatés. Double ou triple, les nourrissons étaient muselés par une tétine énorme qui dévorait leurs belles joues rosées par la fraîcheur matinale. L’arsenal de jouets accrochés à leur char d’assaut ne les distrayait guère car toute leur attention était rivée vers moi, la petite fille boudeuse et sombre qui secouait la grille.

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