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Flora - extrait 2



J’ouvre les yeux et aperçoit les pierrots endormis sur le papier peint tapissant la porte de la chambre bleue. Je les compte. Un, deux, trois, puis une étoile, indiscrète et sauvage. Elle s’efface sous mon doigt. Elle se noie dans le bleu du ciel. Celui-ci d’aquarelle et d’argent sent le vent des nuits fraîches et l’ambre. Les étoiles se balancent et frôlent le quatrième pierrot qui m’invite à l’apaisement, l’index sur ses lèvres. Quelqu’un dormirait-il encore de l’autre côté de cette porte ? Je porte ma main à mes lèvres pour me faire toute petite et étouffer ma respiration sifflante qui s’emballe. Je colle mon oreille à la porte. J’espère entendre Flora. Mais, une douleur vive aux pieds m’incite à quitter subitement des yeux le dos de la porte pour arracher cette pointe glaciale qui me paralyse. Le carrelage. Dur et froid. Mes pieds sont violacés et douloureux 


« Bénédicte, la couverture…Cesse de tirer sur la couverture ! J’aimerais dormir… »


Dormir. Cela fait si longtemps qu’elle dort, Bénédicte.


La porte est toujours close. Les pierrots se sont cachés derrière les nuages. La voix de l’homme a fait trembler le ciel. Je ne discerne plus les étoiles à présent et la nuit n’a plus d’odeur. Je me recule de la porte.

Bénédicte se réveille timidement. Il fait froid. Janvier lui a dit. Janvier givre et s’étire sur le plancher. Comme tous les matins, depuis une semaine, la vitre de la fenêtre est blanche et silencieuse. Bénédicte s’est assise dans le lit conjugal, les genoux repliés sur sa poitrine. L’empreinte chaude du matelas disparait peu à peu et le dos se voûte en guerrier luttant contre les accolades de l’hiver. Bénédicte sent un corps sous le drap qui lui recouvre encore les jambes. Elle entend sa respiration feutrée à côté d’elle qui soulève la couverture imitant le flux et le reflux d’une mer apaisée. 


« Bénédicte. Tu ne dors pas. Ta sœur, t’a appelé hier. Elle voulait discuter avec toi. »


La respiration parle. Elle parle la langue de l’habitude. Celle de la vie qu’on se refuse, mais qui vous saute à la gorge tel un loup enragé, familier et sournois. 


« Iris voulait  te parler. Je lui ai dis de te rappeler. »


Bénédicte crache des loups dans la nuit. Rien ne sort. Ni sens ni son. Des gémissements de loup. Des bulles d’air. Je me replie contre cette Bénédicte, muette et fragile, qui se renie faute de pouvoir se contenter du médiocre et de l’incertain.

Puis, je me glisse alors hors du lit, et saisit le grand pull-over rouge, jeté négligemment la veille sur le parquet. La laine commence déjà à m’irriter le haut des cuisses, mais j’oublie vite ce désagrément : il fait si frais dans la maison encore endormie.

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