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Affichage des articles du mai, 2023

Evan 5 : la forêt

L'obscurité prégnante couvre leur tronc majestueux d'une ombre épaisse et inquiétante. Hormis le vent dans les branches, rien ne bouge. Tout semble figé comme pétrifié par la peur. La nature ose à peine respirer de crainte que les feuilles ne frémissent et ne réveillent la bête qui rôde.  Je coupe ma respiration et poursuit ma lente traversée afin de pouvoir quitter cette forêt inquiétante. Les branchages craquent sous mes genoux meurtris et effrayent les oiseaux de nuit. Je m'épuise à me contorsionner et finit par atteindre la lisière du bois. Devant moi, une vaste plaine enneigée s'étend à perte de vue. Il y règne la désolation et la menace. Je me recroqueville sur moi même enserrant mes genoux frileux. Il neige. L'attente me paraît interminable. Quelques ombres fugaces passent à côté de moi me frôlant tour à tour comme pour me mettre en garde. Je les entends murmurer des mots inaudibles comme des picotements aigres et sauvages sur la peau. Je les sens en moi,

Evan 4 : Je suis fou

Encore essoufflé, je sors la main de ma poche pour observer la poupée et tente de défaire ses fils noués un à un en prenant bien soin de ne pas effiler davantage son bras.  Elle grimace. Elle pue la mort. Elle a la fièvre de ma mère.  Cette odeur putride me fait frisonner d’effrois. Alors, je noue chacun de ses fils méthodiquement comme un chirurgien. J'observe ses yeux en bouton à chacune de mes actions espérant qu'elle ne souffre pas. Je crois que je deviens fou moi aussi. La poupée est souillée de boue et de sang. Mes doigts tremblent de froid et je noue avec peine ses fils. Les engelures me font atrocement souffrir. J'enfonce mes genoux dans la terre et me penche vers elle pour parfaire ma réparation. J'ai l'impression d'entendre son cœur qui bat. Cette constatation me fait monter les larmes aux yeux. Je suis horrifié à l'idée de me rendre à l'évidence que la folie s'est emparée de moi. Elle s'accroche à ma tristesse et me fait perdre

Evan 3 : les laveuses

Sa voix grave et tranchante a fendu le silence et ses grands yeux vitreux me dévisage avec la force d'une aveugle terrifiée. Le vert de ses iris se marbre de brun et coule entre les rochers de ma conscience, étendant ses bras aqueux autour de mes remparts. Elle m'attire dans l'eau trouble, suspendue à mon cou, et je trébuche sur la mousse des pierres, guidé uniquement par sa respiration ample et profonde. Je sens la fraîcheur de l'eau sur mes cuisses me tétaniser lentement. Alors, je tente de m'accrocher à ses maigres avant-bras vaporeux et âpres, serpents endiablés agrippés à mon cœur. « Où m'emmènes-tu ? » Ma voix me répond en écho et je devine les parois épaisses de hautes montagnes humides et abruptes. Elles surplombent la rivière que nous traversons, altières et silencieuses, ombrageant des chemins escarpés et boisés entre les roches.  Des parfums inconnus étourdissent mes sens, décuplés par ma cécité nouvelle. La jeune fille desserre son étreinte et po

Evan 2 : poupée de chiffon

  Son visage est gris et je me perds à la contempler. Elle ne sent plus le miel vanillé.  Maman est enveloppée d’éther et ses mains bleuissent. Paumes vers le ciel. Paupières closes. Maman ne se réveillera pas et les aides-soignantes peuvent me passer une main dans les cheveux, je sais qu’elle s’évapore de jours en jours. On la maquille comme une morte pour masquer le voile bleuté de ses longues errances chimériques. Maman ressemble à un manga, à une poupée de chiffon fardée, les yeux en étoiles et la bouche en pétale de rose. Cela me peine et me fâche.  Maman me quitte et il faut aussi qu’on me la défigure. Je voudrais hurler, m’indigner et jeter chaises et bols de soupe dégueulasse par les fenêtres, mais j’ai promis à mamie de ne plus recommencer.  Je voudrais avoir trente ans et qu’on m’appelle monsieur. Qu’on cesse enfin de me caresser les cheveux comme un gamin paumé et malheureux !

Evan

Les rires et les cris des collégiens me donnent la nausée. Ça hurle dans ma tête. J’ai des nœuds d’estomac qui m’empêchent de me redresser et je marche courbé en bousculant les autres avec mon sac. C’est une nuée de tan contre mon échine. Ça pique de tous côtés. Je grogne. Je me colle au mur. Me noie dans l’odeur putride de la vieille peinture souillée. Je n’ai pas fait signer mon mot à maman.    Maman est à l’hôpital. Le chauffeur de bus m’a regardé courir dans son rétroviseur et il ne s’est pas arrêté.  Un homme barbu s'est collé à la vitre pour me regarder courir. J’ai attendu sous la pluie le prochain.  Une vieille dame voilée me regardait sur le trottoir d'en face derrière ses grosses lunettes noires. Elle tenait la main à une drôle de petite gamine à peine vêtue d'un tee-shirt blanc trop long pour elle. Quand je suis montée dans le bus, j'ai cherché du regard la petite fille, mais elle avait disparu. La vieille femme aussi d'ailleurs. Je me suis retrouv