Accéder au contenu principal

Une hirondelle


Bénédicte range la maison. Elle passe le balai dans les quatre coins du salon afin de retirer les miettes du repas, et à chacun de ses gestes, méthodiquement réalisés, toutes ses pensées volent vers Iris. N’ayant pas répondu à son appel, sa sœur est venue lui rendre visite avec ses filles d’épices et de miel. Bénédicte respire le silence de la maison. Sa maison d’enfance a vieilli et ses convictions profondes aussi. Elle se demande d’ailleurs pourquoi elle continue de l’entretenir. Pourquoi mettre de l’ordre alors que la poussière ne cesse de retomber ? Inéluctablement, le temps passe. Il laisse sa trace. Il creuse la distance.

Bénédicte souhaiterait se confier à Iris : les fissures de la maison, son cœur enflé, ses mains veineuses et ses souvenirs qui l’envahissent et la détruisent. Elle ne peut pas : Iris est aérienne. Elle flotte au-dessus des nuages avec sa magnifique chevelure et ses mains d’opaline. Comment oser lui demander de se poser sur une terre en jachère ? Une hirondelle ne se pose pas. Une hirondelle s’accroche à un fil pour reprendre son souffle et disparaît le temps d’une saison. Une hirondelle a besoin de soleil. Elle fend l’air et défie la terre de vouloir la condamner. Comment lui demander de se risquer à écouter les maux terre à terre qui lui a donné la vie ? Alors, Bénédicte se contente de la contempler chaque fois qu’elle vient se reposer devant ses fenêtres. Elle lui offre un thé à la menthe et l'observe le boire en racontant de belles histoires.

Bénédicte se penche pour jeter les miettes recueillies dans sa petite pelle en fer. Elles volent vers le ciel fatigué. La poussière d’étoile de son enfance ne brille plus. Bénédicte a besoin de la pleurer, mais cela non plus, elle ne le peut pas. Son cœur souillé de bien trop de silence est aride. Bénédicte jette les poussières d’étoiles dans le jardin d’hiver. Elle fait le vide faute de pouvoir mettre de l’ordre. Elle n'a pas annoncé à Iris la nouvelle. Bénédicte ne peut pas en parler.

Harassée, elle s’assoit en un soupir sur le rocking-chair et son regard se perd au fond du couloir : la porte de la salle de bain est restée entrouverte. La flamme des bougies odorantes se reflètent dans le large miroir où chaque objet y semble magnifié. L’eau boue dans la cuisine, mais elle n’y prête pas attention : ses voix intérieures l’envahissent, la submergent. Elles ont plongé son âme dans la nuit profonde des souvenirs. Bénédicte rêve les yeux ouverts. Elle ressent de moins en moins les migraines. Elle s’habitue. Le couloir, pourtant désert, est couvert de rires d’enfants : ceux de ses cousins et frères. A présent, il n’est plus nécessaire de les évoquer : les souvenirs se cachent dans les moindres recoins de la maison. Un bruit, un objet, une odeur. Ils sont tapis ici ou là, comme des diables rieurs. La nouvelle a ouvert la porte qu'elle voulait garder fermée. Bénédicte est envahis par ses souvenirs. Elle plane. Elle disparaît peu à peu.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Evan 5 : la forêt

L'obscurité prégnante couvre leur tronc majestueux d'une ombre épaisse et inquiétante. Hormis le vent dans les branches, rien ne bouge. Tout semble figé comme pétrifié par la peur. La nature ose à peine respirer de crainte que les feuilles ne frémissent et ne réveillent la bête qui rôde.  Je coupe ma respiration et poursuit ma lente traversée afin de pouvoir quitter cette forêt inquiétante. Les branchages craquent sous mes genoux meurtris et effrayent les oiseaux de nuit. Je m'épuise à me contorsionner et finit par atteindre la lisière du bois. Devant moi, une vaste plaine enneigée s'étend à perte de vue. Il y règne la désolation et la menace. Je me recroqueville sur moi même enserrant mes genoux frileux. Il neige. L'attente me paraît interminable. Quelques ombres fugaces passent à côté de moi me frôlant tour à tour comme pour me mettre en garde. Je les entends murmurer des mots inaudibles comme des picotements aigres et sauvages sur la peau. Je les sens en moi,

Mercredi matin

Je sens qu’on m’emmène. Les vibrations de la vieille golf orange me bousculent.  J’ai dix ans. La fenêtre ouverte, les arbres et mon chien entre mes jambes. Je caresse ses longues oreilles velues. Je me sens bien. Le soleil entre les feuilles joue avec ses grands yeux éblouis. La voiture ronronne, ronfle, crache les folles heures funestes d’un mercredi bleu, rouge, feu et vent. J’ai dix ans. Brassens fait de petits bonds sur les trottoirs et les toits d’ardoise. Il réveille les âmes du grand cimetière qui longe la route, en un dernier sursaut hystérique. Des lycéens courent pour rattraper le bus. Jupes, écharpes azurées, chevelures endiablées s’enroulent aux notes piquées d’un drôle de petit bonhomme d’ironie et de dérision. Je flatte mon chien qui éternue et colle sa truffe humide sur mes cuisses baignées de soleil. Ulysse respire l’air doux et sucré de ce mercredi matin paisible  " Cherche-moi, Béné. Cherche-moi…" Des longs bras blancs m’encerclent pendant que la voitur

Evan 3 : les laveuses

Sa voix grave et tranchante a fendu le silence et ses grands yeux vitreux me dévisage avec la force d'une aveugle terrifiée. Le vert de ses iris se marbre de brun et coule entre les rochers de ma conscience, étendant ses bras aqueux autour de mes remparts. Elle m'attire dans l'eau trouble, suspendue à mon cou, et je trébuche sur la mousse des pierres, guidé uniquement par sa respiration ample et profonde. Je sens la fraîcheur de l'eau sur mes cuisses me tétaniser lentement. Alors, je tente de m'accrocher à ses maigres avant-bras vaporeux et âpres, serpents endiablés agrippés à mon cœur. « Où m'emmènes-tu ? » Ma voix me répond en écho et je devine les parois épaisses de hautes montagnes humides et abruptes. Elles surplombent la rivière que nous traversons, altières et silencieuses, ombrageant des chemins escarpés et boisés entre les roches.  Des parfums inconnus étourdissent mes sens, décuplés par ma cécité nouvelle. La jeune fille desserre son étreinte et po